LCP a rediffusé récemment le documentaire de Michael Gaumnitz intitulé  « Philippe Seguin : Un destin inachevé ? ».

Le débat organisé dans la foulée de ce portrait très réussi tournait pour l’essentiel autour du caractère « extraordinairement légitimiste » de Philippe Seguin, de ce talon d’Achille qui eut un impact considérable sur ce destin politique au goût d’inachevé. En jeu, notamment, ce lien à Jacques Chirac qui faisait son malheur mais qu’il ne sut jamais trancher : « Il n’a jamais osé rompre le lien de filiation avec Chirac, lien de filiation qui le rendait pourtant très malheureux parce que Juppé ou un autre lui était toujours préféré » (Nicolas Domenach). Combien de fois attendit-il ainsi de ce mentor qu’il avait tant servi – en le bousculant parfois – une reconnaissance qui ne vint jamais. Il ne fut pas le premier ministre qu’il s’attendait à être en 1988. Il n’obtint pas le soutien qu’il était en doit d’attendre lors des européennes de 1999. Il souffrit de l’ambiguïté présidentielle qui lui coûta si cher lors des municipales à Paris en 2001. Ces désillusions répétées furent pour cet homme – trop tôt privé de son père – un lent supplice.

Voici donc ce qu’en dit Nicolas Domenach :

  • À propos du débat télévisé raté face à François Mitterand durant la campagne du référendum sur le Traité de Maastricht :  « Plusieurs fois dans sa vie, face au geste qui aurait été nécessaire pour se créer un destin, il s’est retenu ». Ce jour-là en effet, un Philippe Seguin qui était le champion du « Non » avait retenu ses coups face à un François Mitterand affaibli par la maladie, ratant ainsi l’opportunité de transformer l’essai après une campagne dont il avait été le vrai homme fort et un discours à l’Assemblée Nationale qui devait rester comme l’un des plus marquants de notre histoire parlementaire.
  • À propos de l’initiative avortée des rénovateurs du RPR, cette jeune garde qui tenta d’opérer un putsch en 1988 : « C’était un moment historique, où toute la jeune génération avec leurs différences idéologiques se rassemblait pour se débarrasser des anciens qui mettaient l’éteignoir sur la vie politique – c’est-à-dire Chirac et Giscard. Mais Seguin a été incapable d’en être vraiment. Il s’est mis de côté et tout ça est tombé en quenouille. Je trouve ça très symbolique : il y a eu d’autres moments dans sa carrière où il aurai pu trancher et y aller sous ses propres couleurs – “Allons-y, suivez-moi !” -, mais à chaque fois, il a fait ce petit pas en arrière ».

Tous les invités présents sur le plateau ont rendu hommage lors de cette émission  à la constance et à l’authenticité des convictions politiques de cette figure regrettée : « Ce n’était pas la politique, c’était la France qu’il avait au coeur ».  Ces qualités expliquent l’hommage unanime – et trop tardif pour ne pas être suspecté d’hypocrisie –  qui lui a été rendu à sa mort en 2010. Seguin forçait le respect, malgré ses défauts.

Mais il est saisissant de voir qu’il aura toujours manqué à ce lion de la politique, à ce redoutable combattant, ce brin de détermination qui lui aurait  permis de se faire un destin – et au passage de se mettre à distance des ingratitudes répétées de Jacques Chirac.

Pour avoir reculé à chaque fois au moment de porter le coup décisif, Philippe Seguin n’aura pas réussi à porter aussi haut qu’il l’aurait voulu ses idées. Cette trajectoire laisse ainsi, in fine, le sentiment un peu triste d’une forme de gâchis.

Il aurait fallu, pour qu’il en soit autrement, y aller sans demander l’autorisation à personne, sans regarder au prix à payer, sans craindre la solitude des transgressions. Y aller avec sa seule conviction – avec ce qu’elle pouvait comporter de fragile et d’incertain, et au risque d’échouer.

Ce qui ressort pour moi de ce portrait c’est, par contraste, le courage considérable qu’il faut à un dirigeant pour franchir – souvent seul – certaines étapes décisives. On comprend alors que beaucoup hésitent à franchir le Rubicon, et ce d’autant plus que chacune de ces hésitations a une (vraie) bonne raison. Philippe Seguin affrontait par exemple, en 1990, un François Mitterand diminué par la maladie, qu’il avait choisi de ménager pour ne pas manquer d’élégance – « Lorsque vous avez quelqu’un qui est malade, vous ne vous comportez pas comme un voyou » avait-il ainsi expliqué a posteriori. Que sa main ait tremblé à cette heure est éminemment respectable…

Mais si les bonnes raisons doivent légitimement faire hésiter au seuil de l’audace, faut-il vraiment s’y arrêter ?

Le destin de Philippe Seguin montre en tout cas ce qu’il faut vaincre de peurs et de doutes – souvent légitimes – pour oser faire ce pas qui fait basculer dans une solitude  si difficile à porter qu’elle fait reculer les meilleurs.