Pour compléter et accompagner la lecture de ce business case, nous recommandons de visionner la version courte du documentaire “Danone, 40 ans d’une trajectoire unique’ (7 mn).

La décision de mettre à jour sa vision ne sort pas de nulle part. Quand un dirigeant décide d’entreprendre ce travail, il le fait parce que son entreprise vit un momentum singulier. Ces circonstances colorent fortement sa demande.

C’est ainsi que nos clients mettent généralement l’accent sur l’un des trois composants de la vision (raison d’être, valeurs ou ambitions), au point de n’être parfois pas intéressés par travailler les deux autres. Parce que ce n’est pas le moment.

C’est ainsi  également que des entreprises vivent pendant des années, voire des décennies, avant de vivre une situation qui rende nécessaire un travail d’explicitation de leur vision.

L’exemple de Danone illustre tout ceci de façon marquante. Nous le trouvons particulièrement intéressant pour les éclairages qu’il apporte sur cette question des moments à sentir, et parce qu’il montre comment les choses se mettent en place dans la durée. Le tout avec une logique organique que nous trouvons intéressante à regarder.

1. Danone a vécu 86 ans sans raison d’être et 78 ans sans valeurs

 

Exprimée comme telle, cette affirmation est évidemment fausse. Elle ferait sans doute bondir ceux qui sont familiers du Groupe. Mais il reste vrai que Danone a attendu 1997 pour formuler ses valeurs, et quelques années de plus pour expliciter sa raison d’être.

Cela a-t-il manqué à l’entreprise ? Peut-être, mais, quoiqu’il en soit, elle n’a pas attendu tout ce temps pour être florissante, se développer et attirer à elle des talents mobilisés autour de quelque chose qui avait du sens pour eux. Ce que cela nous inspire ? Que le réel montre qu’il est des phases de la vie des entreprises où raison d’être et valeurs peuvent ne pas avoir besoin d’être explicitées. Peut-être parce qu’elles sont implicitement partagées, vécues comme une évidence. Peut-être parce que les priorités sont ailleurs. Quoiqu’il en soit, les mettre au jour, les expliciter n’apparaît pas comme une nécessité.

A un moment donné, cet équilibre peut être rompu. Ce qui était naturel semble menacé. L’entreprise est alors conduite à réfléchir sur ce qui fait sens pour elle, et qu’elle n’a jusqu’ici pas éprouvé le besoin de mettre en lumière.

Dans l’histoire de Danone, ce moment n’arrive qu’après le retrait des affaires de celui qui a été l’artisan de l’édification du groupe : Antoine Riboud.

2. La mise à jour des valeurs, ou comment se retrouver autour de l’essentiel à l’heure des remises en question

 

En 1996, Franck Riboud succède à son père. Danone traverse alors des moments difficiles.

Le nouveau dirigeant opère dans ce contexte une série de changements qui vont secouer le Groupe.

– Premier changement : la vente de pans entiers de l’entreprise acquis au fil des ans par son prédécesseur. Comme il le dit lui-même : « “Je te confie Danone” ça s’est traduit par : je vends 60 % du chiffre d’affaire de Danone… Il fallait oser ! ». C’est le début d’un recentrage qui va conduire l’entreprise à sortir de marchés historiques parfois rentables pour se réorganiser autour de trois métiers. À la base de ce choix, il y a un constat : « Il était impossible pour Danone de continuer à se battre sur douze catégories de produits aussi différents et il était impossible d’atteindre une taille critique sur l’ensemble de ces douze catégories de produits à une niveau mondial » (Emmanuel Faber). La survie du Groupe passait donc par ces renoncements radicaux. Il n’en demeure pas moins que cette décision vient fortement ébranler l’entreprise.

– Deuxième changement : une politique de centralisation limitant partiellement l’autonomie laissée aux régions.

– Troisième changement : le départ de compagnons de route historiques d’Antoine Riboud, combiné avec l’arrivée de dirigeants recrutés à l’extérieur. Dans une entreprise où la promotion interne était la règle, le départ de ces “figures” donne le sentiment en interne que quelque chose de l’ADN s’en va.

– Quatrième changement : l’accent mis sur la performance opérationnelle, et donc les résultats financiers, après des années où le focus était surtout mis sur le développement du chiffre d’affaire.

A l’heure du premier passage de témoin jamais opéré à la tête de l’entreprise, ces diverses évolutions suscitent des craintes, des doutes et de la méfiance. Comme le raconte l’un des témoins de l’époque : « Franck Riboud était conscient que l’accumulation de changements avait perturbé la cohésion de l’entreprise et menaçait de diluer la personnalité de Danone ».

C’est dans ce contexte, où tout semble – pour certains – remis en cause, que Franck Riboud prend l’initiative de lancer le travail sur les valeurs du Groupe. Il choisit d’y associer des centaines de managers dans le monde, pour que le résultat, cette fois-ci, soit le reflet non d’une direction qu’il entend imprimer, mais de ce qui est l’âme des hommes et des femmes qui font Danone. Ce processus va déboucher sur le triptyque de valeurs « Humanisme, Ouverture, Enthousiasme ».

Ces valeurs, issues de ce travail de mise au jour, sont intéressantes en ce qu’elles marquent une vraie singularité. Franck Riboud souligne d’ailleurs leur contraste avec les sempiternelles valeurs de  performance, qualité, sens du client qui avaient court à l’époque dans les groupes anglo-saxons. Elles manifestent ainsi à la fois une identité et la volonté de ne pas la laisser se diluer. La remise en cause sans tabous de l’héritage paternel va ainsi de pair avec une définition de ce qui, dans cet héritage, doit être à tout prix préservé. De cet intangible auquel il serait fatal de toucher, mais autour duquel tout est permis, y compris les pivotements les plus spectaculaires. Cette souplesse est d’ailleurs en soi un témoignage de fidélité à Antoine Riboud, qui avait toute sa vie démontré  – en plus de son attachement à ces valeurs dans lesquelles il se serait certainement reconnu – une « agilité du jeu de jambes » dont il avait fait  une marque de fabrique.

3. La formulation de la raison d’être, ou comment assoir la solidité du Groupe sur autre chose que la performance économique

 

Sept ans plus tard, un travail de mise au jour similaire va s’opérer pour la raison d’être (ou la « mission ») de Danone.

Ce travail a lieu suite à un été 2005 particulièrement mouvementé pour l’entreprise. Des rumeurs appuyées d’OPA circulent en effet à l’époque avec insistance, prêtant à Pepsi des intentions hostiles qui réactivent les craintes sur la vulnérabilité du Groupe.

Au plan structurel, Danone est en effet un Groupe doublement fragilisé. D’une part, par son volume de capitalisation boursière, – plus de deux fois intérieur à celle d’Unilever et de Pepsi, plus de trois fois inférieur à celle du géant Nestlé. D’autre part, par la structure de son actionnariat, dont le flottant est considérable, avec un tour de table assez éclaté.

A l’époque, près des semaines d’un combat qui mobilise sans relâche la Direction de l’entreprise et les soutiens politiques, Danone est « sauvé ». Mais il s’en est fallu de peu. Franck Riboud ressort donc de l’aventure avec la conviction qu’il faut expliciter ce « quelque chose d’unique » qui fait Danone, pour assurer son indépendance et sa survie. Aller plus loin, en somme, que ce qui a été fait à travers le travail sur les valeurs de l’entreprise. Il est en effet devenu clair  pour lui, à la faveur de cet incident, que la seule performance économique ne suffit plus – l’entreprise n’étant par ailleurs pas à l’abri d’un faux-pas qui la rendrait encore plus vulnérable. Il revient donc à ce socle de l’identité, seule à même – selon lui – de mettre Danone à l’abri de prédateurs potentiels : « Ma préoccupation, c’est ma responsabilité de chef d’une entreprise qui, depuis de nombreuses années, aligne les meilleurs résultats du secteur. Ces performances, nous les devons à nos marques, mais surtout à notre culture. C’est elle qui mobilise et motive nos équipes. Pourquoi irais-je prendre le moindre risque, en tant que CEO, de diluer cette culture dans un ensemble plus grand ? Je m’attache à la défense du groupe par sa culture. Si la défense n’était qu’économique, il se trouverait vite quelqu’un de plus riche que moi, capable de convaincre nos actionnaires et de racheter le groupe ». Il s’inscrit dans la droite ligne de ce qu’écrivait Louis Schweitzer, qu’il cite d’ailleurs à cette occasion : « Ce qui assure la survie des grandes entreprises, c’est qu’elles ne sont réductibles à aucune autre. Il ne suffit pas d’être bon, il faut être irremplaçable ». C’est cet irremplaçable qu’il entend donc attraper, expliciter et cultiver.

C’est ainsi qu’est lancée la démarche Danone Uniqueness. Ce travail débouche, 7 ans après celui sur les valeurs, sur la formulation de la « Mission Danone” : « Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre ».

Pour la deuxième fois en quelques années, l’homme de la remise en cause de l’héritage est ainsi, par ailleurs, l’homme de la mise à jour de ce qui – dans l’héritage – est à préserver à tout prix. Pour la première fois, Danone affirme explicitement que ce n’est plus seulement le maintien de la performance financière ou la course à la taille qui garantira l’avenir du Groupe. Le désir de contribuer à quelque chose de plus grand est ainsi mis en lumière d’une façon qui – nous allons le voir – renoue avec les origines de l’entreprise tout en ouvrant une phase d’accélération.

4. Un catalyseur formidable

 

Le virage stratégique radical opéré par Franck Riboud en 1997 avait précédé la mise au jour de la mission Danone. Il s’était alors simplement agi – du moins en apparence – d’identifier les secteurs où le Groupe excellait et avait donc une chance d’être ou de rester le meilleur. Mais cette stratégie de recentrage et la lisibilité qu’elle avait apporté avait sans doute préparé la conscientisation de la mission du Groupe. A contrario, l’explicitation de la mission donnait de la profondeur à cette stratégie de recentrage et allait venir la renforcer.

D’abord opérée autour de trois métiers – les eaux, les produits laitiers et les biscuits -, la stratégie de Danone franchit ainsi un pas supplémentaire en juillet 2007 avec le rachat de Numico – spécialiste de la nutrition infantile et médicale – dans la foulée de la cession de l’ensemble des marques du pôle biscuits. Ce virage cohérent avec la Mission nouvelle explicitée aboutit à la structuration du Groupe autour de quatre métiers étroitement liés à la santé par l’alimentation : les produits laitiers, les eaux, la nutrition infantile, la nutrition médicale. Comme le dit alors à chaud Franck Riboud  à un journaliste qui l’interviewait : « Nous sommes vraiment un cheval de course maintenant avec des activités qui pensent à la même chose du matin au soir, et qui ont les mêmes process en termes d’innovation, de marketing, d’exécution de la stratégie ».

Dans un registre différent, un épisode survenu peu de temps après le chantier sur la Mission Danone illustre lui aussi le rôle de catalyseur joué par ce travail de mise au jour. Franck Riboud rencontre ainsi dans le courant de l’été qui suit Mohanmad Yunus, futur Prix Nobel de la Paix. De ce déjeuner avec le père du micro-crédit et théoricien du social business, sortira Grameen Danone Foods. Cette entreprise lancera la fabrication de yaourts enrichis en éléments essentiels au Bangladesh, en visant une gamme tarifaire, et donc des process de fabrication et de distribution, en rupture totale avec les modèles et l’expertise historiques du Groupe. Ce défi considérable, qui sera notamment financé par Danone Communities, fonds d’investissement qui servira au développement des social businesses dans les métiers de Danone, donne tout son sens à ce « au plus grand nombre » qui – de l’aveu même de Franck Riboud – fait toute la difficulté de la Mission Danone : « Apporter la santé par l’alimentation, bon, ben, c’est bien. Mais apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre, ça c’est différent. Parce que vous êtes parfois obligé de tout repenser. Et ça donne Grameen Danone« .

Cette amorce n’est qu’un début : l’arrivée d’Emmanuel Faber à la tête du Groupe en décembre 2017 donne lieu à une accélération vis-à-vis de laquelle le recul manque, et qu’il est donc trop tôt pour évoquer ici. Mais le virage engagé ne fait que se prolonger et de renforcer, dans la ligne de la dynamique impulsée depuis le travail sur la Danone Uniqueness. Avec une puissance de déploiement et une cohérence de fond qui se précise et s’ancre de façon toujours plus radicale (chantier de la certification B-Corp, rachat de Whitewhave dans le bio, etc.).

Ces deux événements consécutifs au travail sur la mission Danone illustrent pour nous combien le passage de l’implicite à l’explicite d’une raison d’être constitue, pour une entreprise, un catalyseur extrêmement puissant. L’impression donnée par Danone est que ce travail de mise au jour a accéléré et renforcé des mouvements certes préexistants, mais comme confirmés et potentialisés par la conscience nouvelle que l’organisation avait de sa raison d’être et de ses valeurs. Dynamique qui, redisons-le, semble s’accentuer encore aujourd’hui.

5. Quand la vision plonge ses racines dans les mythes fondateurs de l’entreprise

 

Nous avons trop évoqué le bâtisseur Antoine Riboud pour ne pas revenir à celui qui était le fondateur non pas du Groupe BSN Gervais Danone mais de l’entreprise Danone. C’est avec ce filon qu’allait en effet renouer le Danone recentré sur ses 4 métiers de l’ère Riboud.

Lorsqu’il fonda Danone à Barcelone en 1919,  Isaac Carasso voulut d’emblée proposer un produit sain, aux vertus confirmées par les études médicales, et au goût excellent – dans un contexte où les populations défavorisées des faubourgs de la ville étaient confrontées à de sérieux problèmes sanitaires.

Les travaux de l’Institut Pasteur avaient alors apporté une caution scientifique aux vertus supposés de ce « yoghourt » qui, inconnu en Europe de l’Ouest et étrangers à tous les usages alimentaires de l’époque, venait des Balkans où il avait la réputation d’être le secret de ces centenaires qu’on y croyaient présents en si grand nombre. Ces travaux scientifiques avaient par ailleurs permis d’en fiabiliser le process de fabrication et d’en améliorer le goût.

Isaac Carasso avait ainsi commencé à fabriquer des yaourts vendus à l’unité et non en vrac, distribués uniquement dans les pharmacies de la ville. Il avait axé son marketing sur les bienfaits médicaux éprouvés du yaourt, s’appuyant sur les médecins et les sociétés médicales de la ville pour promouvoir ses produits. Bref, l’idée de la santé par l’alimentation était déjà là, très présente, dans ces premières heures de l’entreprise

Diluée dans le Groupe BSN Gervais Danone, cette intention de départ s’était sans doute un peu perdue – Danone y côtoyait alors La pie qui chante, Marie, Maille et Kronenbourg ! Mais la marque y pesait lourd, et c’est d’ailleurs elle-seule que choisit Antoine Riboud lorsqu’il changea le nom du Groupe au moment d’en céder les rênes. C’est donc à cet ADN que se réarrime le Groupe Danone nouvellement rebaptisé lors des grandes clarifications stratégiques et du travail sur la Danone Uniqueness de l’ère Franck Riboud.

Dans le cas de Danone, comme souvent, l’histoire, les faits, les actes ont ainsi précédé les mots et la conscience qu’avait l’entreprise organisation de son identité. Ce quelque chose d’unique orientait déjà ses choix. Ensuite, et là encore comme souvent, l’ambition de construire un Groupe de taille mondiale, matérialisée par les rachats sucessifs opérés de façon très opportunistes et un peu tous azimuts, avait sans doute un peu dilué cette identité qu’il fallait réaffirmer et remettre au coeur de la stratégie. L’heure devait simplement venir pour opérer ce retour aux sources.

6. Zéro vision : L’entreprise a-t-elle vraiment vécu 86 ans sans vision ?

 

Ce que nous avons dit des origines de l’entreprise suffit déjà à montrer la fragilité de cette affirmation. Nous aurions pu aussi parler des fortes valeurs véhiculées tout au long de son existence par Antoine Riboud, à l’intérieur et à l’extérieur de son entreprise. Mais il faut aller plus loin. La vision est en effet un triptyque : à cette raison d’être et à ces valeurs opérantes avant d’être formulées, il faut ajouter une ou des ambitions. Dans le cas de Danone, et malgré les ajustements successifs que la formulation de l’ambition a connus, une ambition a toujours été clairement posée.

 A l’origine du Groupe, il y a la verrerie familiale Souchon-Neuvesel, où Antoine Riboud avait fait ses classes avant d’en prendre la présidence. Animé par le désir de développer son entreprise et d’en assurer la pérennité, son ambition avait alors été de « Passer du verre creux au verre plat », et donc de se diversifier par rapport à son métier d’origine (le verre alimentaire) pour aller vers le verre de construction.

Cette ambition était dictée par un raisonnement stratégique : le boom de l’alimentaire entraînerait mécaniquement un boom des emballages en carton et en plastique – le verre étant insuffisant à lui seul à couvrir l’ensemble des besoins du marché. Une diversification vers ces nouveaux modes d’emballage aurait supposé pour Souchon-Neuvesel une intégration amont avec le secteur de la pétrochimie, ce que  la modeste verrerie familiale n’avait pas les moyens de financer. Il lui fallait donc envisager une diversification non pas vers les autres modes d’emballage mais vers des usages du verre autres que l’emballage. C’est ce raisonnement qui conduisit Antoine Riboud à faire le choix d’aller vers le secteur du verre plat, en rachetant la verrerie Boussois.

En parallèle, Souchon-Neuvesel avait historiquement acquis des participations chez deux de ses clients dans l’alimentaire : Blédina et Evian. Les années passant, et les perspectives du secteur de l’automobile et du bâtiment s’assombrissant en raison du double choc pétrolier, l’ambition du Groupe s’ajusta donc. Oublié la salvatrice ouverture au monde du bâtiment et de l’automobile opérée moins de dix ans plus tôt : il s’agissait désormais de passer « Du contenant au contenu ». BSN devint majoritaire chez Blédina et Evian, puis opéra le rachat d’entreprises de brasserie, accentuant ainsi son virage vers l’alimentaire à l’heure où le Groupe se désengageait du verre plat. Agilité du jeu de jambes…

Cette ambition réalisée, une autre pris le relai – laquelle ouvraient des perspectives plus larges encore : Devenir un groupe alimentaire de taille mondiale. Définitivement oublié, le contenant fut vendu, soldant les origines verrière du Groupe. En vingt ans, l’entreprise avait ainsi totalement changé de métier. Elle se lança alors dans cette politique d’acquisitions tous azimuts qui était destinée à l’ouvrir aux marchés étrangers et à augmenter sa taille critique.

La rencontre avec Daniel Carasso – fils du fondateur de Danone – constitua une étape déterminante dans cette saga. Daniel Carasso avait lui aussi en tête de créer un groupe de taille mondiale. C’est donc autour de cette ambition commune que lui et Antoine Riboud se sont « trouvés » lors du déjeuner au cours duquel ils se rencontrèrent pour la première fois : « Il m’a fait rêver, et je l’ai fait rêver. Nous avons rêvé ensemble ».

De ce coup de cœur naîtra BSN Gervais Danone, et l’ambition trouvera ainsi une formulation nouvelle : « Créer un Coca-Cola Français ». Il ne s’agissait donc plus simplement d’être mondial : il s’agissait d’avoir une identité aussi claire et affirmée que celle de Coca-Cola.

Par son recentrage stratégique et par la mise au jour de sa mission et de ses valeurs, Franck Riboud allait permettre de réaliser pleinement cette ambition – d’une part en consolidant la présence mondiale du Groupe par le recentrage sur des marchés rentables et cohérents entre eux, d’autre part  en redonnant au Groupe une lisibilité qu’il avait perdu au fil de ses acquisitions et de son incroyable développement. Et ce en allant se réarmer à l’identité forte qui avait été celle de l’entreprise créée et dévéloppée par Isaac et Daniel Carasso. L’empire bâtit par le dynamisme entrepreunarial visionnaire d’Antoine Riboud, et animé par les valeurs fortes que tous lui reconnaissaient, assit ainsi sa solidité sur l’identité d’une entreprise qui était finalement venue se greffer au tronc historique assez tardivement.

7. Lessons from Danone

 

Nous ne voyons pas dans cette histoire un « modèle ». Nous y voyons plutôt une illustration intéressante de la façon dont une entreprise exprime, trouve et creuse son sillon, par touches successives, et dans la durée – Danone fête cette année ses 100 ans. Si nous devions résumer les éclairages que nous en retirons, nous en retiendrions quatre :

  • Les entreprises ont une vision avant d’avoir une vision : ce sont souvent les circonstances qui imposent de l’expliciter, et de mettre au jour ce qui est implicitement partagé.
  • Cette mise au jour joue un rôle d’accélérateur, souvent à un moment charnière. Le passage de l’implicite à l’explicite sert ainsi à ouvrir une nouvelle page de l’histoire qui, tout en étant en profonde continuité avec la précédente, emprunte des voies parfois radicalement nouvelles.
  • Les trois éléments du triptyque de la vision ne sont pas nécessairement à clarifier tous ensemble au même moment.  Le sentiment laissé par Danone et son incroyable saga est que ses dirigeants ont justement senti le « bon moment » pour faire ce travail, dans les circonstances où cela avait le plus de sens.
  • Les vicissitudes de l’histoire font que l’un de composants de la vision, parfois, se perd un peu. Très claire à l’origine, l’identité de Danone se dilue en partie lorsque l’ambition de devenir mondial devient « La » priorité. Mais l’enjeu de reclarification de l’ADN du Groupe revient en force lorsqu’il s’agit d’assurer la pérennité d’un Groupe qui avait à la fois trop et trop peu grossi. Ce mouvement de balancier montre pour nous la puissance des forces de rappel qui existent dans l’ADN d’une entreprise.

 

Sources :

  • Jérôme Tubiana, La sage Danone. Une ambition économique et sociale à l’épreuve du réel, JCLattès 2015
  • Danone, 40 ans d’une trajectoire unique(disponible sur Youtube)
  • Antoine Riboud, Le dernier de la classe, Grasset
  • Patrick Labasse, Antoine Riboud, Un patron dans la cité, Le Cherche-Midi
  • Didier Toussaint, Le génie de Danone, Descartes&Cie
  • Félix Torres, Pierre Labasse, Mémoire de Danone. Barcelone, Paris, New-York, Le Cherche-Midi